L’impact de la guerre sur le tennis en Ukraine : aides financières, fondations, instances et casse-têtes en tous genres
Alors que les athlètes ukrainiens ont dû revoir toute leur organisation, c’est tout un pays qui, dans l’ombre, doit s’adapter et changer ses conditions d’entraînement. Cela jusqu’au plus haut niveau, où des joueurs professionnels ont témoigné, tentant d’apporter leur aide tant bien que mal à leur nation.
QUEL EST L’IMPACT DE LA GUERRE SUR LE SPORT EN UKRAINE ?
Cela fait près de quatre ans que les sportifs ukrainiens ont vu leur quotidien bouleversé à tous les niveaux. D’abord d’un point de vue personnel bien sûr, où les familles restent en Ukraine ce qui crée de l’anxiété pour les sportifs concernés, mais surtout au niveau professionnel. Un grand nombre d’infrastructures sportives ont été détruites depuis le début du conflit, et de nombreuses pertes humaines sont également à déplorer.
Selon le ministère des sports ukrainien, le pays « a perdu plus de 595 athlètes, entraîneurs et animateurs de jeunesse. 734 infrastructures sportives ont été endommagées ou complètement détruites, dont 18 bases olympiques et paralympiques nationales. En décembre 2024, les pertes totales d’infrastructures ont dépassé les 374 millions de dollars », peut-on lire dans un communiqué paru le 15 mai 2025.
7 millions d'euros pour construire un centre national de tennis
Pour tenter de commencer à construire l’Ukraine de demain dès à présent, les autorités sportives du pays ont décidé d’allouer en août 2023 un budget de 7 millions d’euros pour construire un centre national du tennis dans la capitale Kiev à partir d’une patinoire abandonnée, d’après les informations qui avaient été recueillies à l’époque par le média Racket One.
De façon générale, tout l’argent du pays a été investi dans l’armée pour permettre aux soldats ukrainiens de défendre coûte que coûte leurs terres depuis le début de la guerre le 24 février 2022.
La décision d’allouer un budget de plusieurs millions au tennis avait fait grincer des dents à l’époque, alors que l’ensemble du pays, et pas seulement dans le domaine du sport, doit être reconstruit dans les années à venir. En effet, d’après les chiffres, l’argent utilisé pour reconstruire les courts de tennis aurait pu servir pour acheter environ 2300 drones qui auraient été utiles pour l’armée ukrainienne.
« Le financement de courts de tennis doit être interdit »
« Il est inacceptable d'effectuer des réparations importantes de courts de tennis alors que l'Ukraine est en guerre. Cet argent est nécessaire aux forces armées : munitions, trousses de premiers secours, drones, armes, nourriture… Il s'agit de préserver la nation ukrainienne.
Le financement des réparations des courts de tennis doit être interdit. Vous savez, je communique avec nos militaires presque tous les jours, et tout ce dont ils parlent, c'est du besoin de pick-ups, de pièces de rechange... la liste est longue. Quand j'entends parler de 7 millions d'euros, mon esprit calcule automatiquement combien de ces besoins pourraient servir à nos militaires.
Personnellement, je soutiens l'idée d'installations sportives modernes, mais dépenser une telle somme d'argent en ce moment ne me semble tout simplement pas approprié », assurait ainsi l’activiste ukrainienne Maria Barabash en 2024.
COMMENT LES JOUEURS DE TENNIS S’ORGANISENT DEPUIS LA GUERRE ?
Les sportifs voyagent généralement beaucoup, mais l’un des sports qui est le plus concerné par les vols en avion pendant l’année est sans aucun doute le tennis. Plus grande joueuse de l’histoire de son pays, hommes et femmes confondus, Elina Svitolina est le symbole de la réussite de l’Ukraine dans le tennis.
Ancienne numéro 3 mondiale, elle a remporté quatre tournois WTA 1000, les WTA Finals en 2018 et une médaille de bronze olympique aux Jeux de Tokyo en 2021, entre autres. Sur le devant de la scène du tennis féminin, la joueuse de 31 ans avait été l’une des premières à prendre position en faveur de l’exclusion des athlètes russes et biélorusses des compétitions officielles de la WTA.
En mars 2023, alors qu’elle s’apprêtait à faire son retour sur le circuit après sa grossesse, elle avait accordé une interview au média local “Kyiv Post”, dans laquelle elle faisait un état des lieux de la situation sportive dans son pays.
« Beaucoup sont partis au front, et certains sont morts »
« La situation en général est très triste pour le sport ukrainien. Tous les sports ont pris dix ans de retard sur tous les plans. Après tout, maintenant, nos athlètes ne peuvent pas s’entraîner normalement, beaucoup sont partis au front, et certains d’entre eux sont morts », déplorait-elle à l’époque.
« Mais en général, il n’y a pas eu de véritable développement du tennis en Ukraine. Tout le monde cherche sa propre façon de percer dans le tennis mondial. Il y a des mécènes qui aident certains joueurs, mais il n’y a pas d’aide de la Fédération de tennis en Ukraine. La reprise du sport sera progressive », a-t-elle poursuivi.
« Créer des opportunités pour les générations futures »
D’ailleurs, pour aider le tennis ukrainien, Elina Svitolina ainsi que Marta Kostyuk, autre figure importante de son sport puisqu’elle est actuellement dans le top 30 mondial, ont toutes deux créé une fondation pour permettre aux enfants et aux jeunes athlètes ukrainiens de pouvoir pratiquer le tennis, et même le sport de manière générale.
Lancée en 2019, la Elina Svitolina Foundation est une organisation caritative dont le principal objectif est de développer le sport, en particulier le tennis, soutenir les jeunes talents et promouvoir l'Ukraine sur la scène internationale. « La Fondation s'engage à créer des opportunités pour les générations futures, en utilisant le sport comme un outil pour susciter des changements positifs et durables », peut-on notamment lire sur son site officiel.
Svitolina, très engagée pour son pays sur et en dehors des courts, a également été nommée ambassadrice de United 24, organisation fondée il y a quelques années par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, pour collecter des fonds qui permettront de reconstruire le pays une fois la guerre terminée.
De son côté, Kostyuk a créé une fondation qui a développé un programme dans le but de l’intégrer aux cours de sport qui sont enseignés dans les écoles en Ukraine. Sur le long-terme, l’objectif est de permettre à 4500 enfants/étudiants qui n’avaient pas accès au sport de bénéficier de ce programme dans plus de quinze établissements scolaires.
QUEL RÔLE D’ACCOMPAGNEMENT DES INSTANCES DU TENNIS ?
Devenu le premier joueur masculin ukrainien à rallier les demi-finales d’un tournoi ATP depuis Alexandr Dolgopolov en 2017, à l’occasion de l’ultime édition du tournoi de Metz sur le circuit principal, Vitaliy Sachko a également raconté certaines coulisses : « La guerre a affecté tous les Ukrainiens, ma famille habite encore là-bas. J’ai été élevé et j’habite en République Tchèque depuis mon enfance. Depuis le début, je reste en contact avec ma famille, mais dès que je lis les informations sur ce qu’il se passe, j’ai envie de pleurer.
La guerre a énormément impacté le tennis masculin en Ukraine (Dolgopolov et Stakhovsky, anciens 13e et 31e mondiaux, sont sur le front pour leur pays depuis 2022). Certains ont dû se battre pour survivre, mais c’est une situation délicate. Le sport et d’autres domaines de la société sont passés au second plan financièrement, il y a de moins en moins d’investissements financiers car tout le monde fait des dons pour essayer d’aider l’armée, ce qui est normal », a développé Sachko.
L’ATP et la WTA au centre des débats du conflit
Ce dernier a également affirmé que l’ATP (association des joueurs de tennis qui gère le circuit ATP) avait fait un geste en 2022 pour les joueurs ukrainiens, mais que ceux-ci devaient, sur le long-terme, se débrouiller par leurs propres moyens. Chose qui n’est pas si simple car seuls les joueurs les mieux classés et participant régulièrement aux meilleurs tournois (les Grands Chelems et les Masters 1000 principalement) peuvent vivre grâce aux revenus du tennis.
« Au début, nous avions reçu un énorme soutien, notamment financier, de la part de l’ATP. De ce que je sais, tous les joueurs ukrainiens l’ont reçu. Mais le temps a passé, et tout le monde a commencé à s’habituer à ce qu’il se passait alors que la guerre continue en Ukraine.
De moins en moins de gens en parlent, et ils considèrent que c’est devenu quelque chose d’ordinaire, ce qui est triste. Maintenant, nous n’avons plus aucun soutien (de l’ATP). Nous devons nous débrouiller par nos propres moyens », regrette le joueur de 28 ans, numéro 1 de son pays en simple messieurs et qui s’était classé 164e mondial après son excellent parcours à Metz.
Si l’ATP a accompagné les athlètes ukrainiens dans les premiers mois de la guerre, cela ne semble pas être le cas de la WTA, du moins, selon Lesia Tsurenko. En 2023, à l’occasion du tournoi WTA 1000 d’Indian Wells, Steve Simon, ancien PDG de l’instance s’occupant du circuit professionnel féminin, aurait eu des propos déplacés envers la situation en Ukraine dont Tsurenko avait été témoin.
« Me protéger en tant que femme ukrainienne » : Tsurenko charge la WTA
La joueuse de 36 ans, qui n’a plus joué sur le circuit principal depuis novembre 2024, a ainsi décidé d’attaquer la WTA en justice, estimant notamment que celle-ci n’a pas apporté suffisamment de soutien aux athlètes ukrainiennes.
Pour justifier sa démarche, Tsurenko a chargé Simon et tout l’organigramme de la WTA : « L’objectif, c’est en partie de me protéger en tant que membre de l'équipe ukrainienne de tennis et en tant que femme ukrainienne.
La question centrale peut être résumée en termes de “traitement négligent”. J'ai parlé publiquement de la conversation gênante que j'ai eue avec l'ancien directeur général de la WTA, Steve Simon, à Indian Wells en 2023. Ce n'est pas un secret. Il m'a dit certaines choses. J'ai suivi un long processus interne.
Même à Indian Wells, j'ai contacté tous les représentants possibles de la WTA : le psychologue, le vice-président de la WTA, les superviseurs, le personnel chargé des relations avec les joueurs et le chef de la sécurité.
Tout le monde a entendu ce qu’il s'est passé et savait ce qui était arrivé. Mais rien n'a été fait. Rien que cela m'a fait fondre en larmes, car ce qu'il m'a raconté était terrifiant. Et cela a été complètement ignoré. [...]
Dans ce procès, j'aborde la question de la négligence de la WTA à l'égard des athlètes ukrainiens pendant une période incroyablement difficile et le préjudice moral que j'ai subi. Je ne demande pas l'interdiction des joueuses russes ou biélorusses, cela ne fait pas partie de la plainte.
« Mon compte Instagram inondé de messages horribles »
Il n'y a pas un seul mot à ce sujet. Mon compte Instagram a été inondé de messages de gens qui ont complètement perdu les pédales, certaines personnes ont dit des choses horribles. Ils pensent que j'intente un procès pour faire interdire les Russes et les Biélorusses. Ce n'est pas du tout de cela dont il s'agit », avait alors développé la principale intéressée en avril 2025 pour le média Tribuna.
La WTA avait alors répondu à Tsurenko dans la foulée via un communiqué de presse : « Conformément à notre position, la WTA a pris de nombreuses mesures pour aider nos joueuses ukrainiennes, qui ont dû faire face à de grands défis en tant qu'athlètes professionnelles.
La WTA a également clairement indiqué qu'elle avait été fondée sur les principes d'égalité et de non-discrimination et que ses règles stipulaient que les compétitions étaient ouvertes à toutes les joueuses qui se qualifiaient sur la base de leurs mérites, sans discrimination. Conformément à ces principes, et à l'instar d'autres organisations de tennis, la WTA a adopté la position selon laquelle les athlètes individuels ne devraient pas être pénalisés pour les actions de leurs gouvernements ».
IMPACTS HUMAINS, ÉCONOMIQUES ET PSYCHOLOGIQUES : LE QUOTIDIEN CHAMBOULÉ PAR LA GUERRE
Le 25 février 2025, soit trois ans et un jour après le début de la guerre, une étude réalisée par les Nations Unies a démontré que le coût d’une reconstruction totale de l’Ukraine est estimé à 524 milliards de dollars lors de la prochaine décennie.
Dans ce contexte, tous les domaines de la société sont impactés, et notamment le sport. Les athlètes ukrainiens, dont certains sont morts en défendant leur pays sur le front, ont ainsi vu leurs routines de préparation être chamboulées depuis 2022.
En ce qui concerne le tennis, qui est un sport dont seuls les 100 premiers mondiaux ou à peine plus peuvent vivre financièrement, les athlètes sont livrés à eux-mêmes. Ils doivent se débrouiller pour permettre à la jeunesse d’avoir des opportunités, grâce notamment aux fondations lancées il y a quelques années par les têtes d’affiche du tennis ukrainien, en l’occurrence Elina Svitolina et Marta Kostyuk.
L’aspect psychologique est également quelque chose à ne pas sous-estimer, et le déroulement de la guerre a conduit Lesia Tsurenko à entamer un procès envers l’ancien directeur général de la WTA.
Justement, les instances du tennis professionnel, l’ATP et la WTA en tête, ont également un rôle à jouer dans l’adaptation à cette situation de conflit, mais il semble que leur implication soit de moins en moins forte à mesure que la situation devient ordinaire aux yeux de la société.
Le tennis en Ukraine ne peut évidemment qu'être relégué à l'arrière-plan dans un cas de force majeure comme celui-ci. Et il restera sans doute durablement marqué par cette sombre période, malgré les nombreux efforts consentis pour lui permettre de continuer d'exister, envers et contre tout.
Galère des blessures et manque d’argent : la double peine des joueurs de tennis loin des stars du Top 100 
Le tennis, nouveau terrain de jeu de l’Arabie saoudite 
La guerre des tenues : comment les contrats vestimentaires dominent le business du tennis 
L’impact de la guerre sur le tennis en Ukraine : aides financières, fondations, instances et casse-têtes en tous genres 
